Ancien secrétaire général de l’Elysée de François Mitterrand et ex-ministre des affaires étrangères du gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002), le diplomate et homme politique Hubert Védrine reste un observateur aussi aigu que réaliste de l’état du monde. Il a publié dernièrement Le Monde au défi (Fayard) et Sauver l’Europe ! (Liana Levi).
L’installation de Donald Trump à la Maison Blanche marque-t-elle la fin d’une prétention américaine au leadership mondial ?
C’est encore trop tôt pour le dire, mais déjà son élection a désintégré nombre de convictions en Occident. Il a été choquant dans sa campagne, il est déjà perturbant et il va y avoir des turbulences ! Mais je ne suis pas sûr qu’il soit forcément dangereux. Cela dépend un peu de nous, et des autres. A partir de 1992, après l’effondrement de l’URSS, nous avons quitté le monde bipolaire pour entrer dans un monde global semi-instable, une mer agitée à 5/6, jamais de mer calme, mais pas non plus de cyclone permanent. Pendant ce dernier quart de siècle, les Occidentaux ont cru à ce qu’avait promis George Bush père [1989-1993], c’est-à-dire à un nouvel ordre mondial sous la conduite éclairée des Etats-Unis. Les conceptions étaient certes sensiblement différentes, plus nationalistes outre-Atlantique, plus idéalistes chez les Européens, mais il y avait une illusion commune. Tout cela s’effondre aujourd’hui.
L’élection de Donald Trump n’est pas la cause de ce bouleversement, elle en est une expression. Elle est la résultante d’insurrections électorales – comme par ailleurs le Brexit, ou d’autres phénomènes similaires – des classes populaires qui n’ont jamais cru à une mondialisation « heureuse », mais aussi des classes moyennes occidentales qui s’en détournent maintenant, comme elles se détournent de l’Europe. Vu d’Europe, la victoire de Donald Trump était possible mais impensable, parce qu’il horrifiait. Elle court-circuite la pensée d’une certaine gauche américaine – et européenne – qui s’est détournée des classes populaires qui votent « mal », et a tout misé sur les minorités.
D’autre part, la perte par les Occidentaux du monopole de la puissance qui était le leur depuis plusieurs siècles était déjà observable depuis un certain temps. Mais il a fallu des événements terribles, tels que la reconquête des quartiers orientaux d’Alep par le régime syrien, aidé par l’aviation russe, face à des Occidentaux impuissants, puis les négociations pour une sortie de crise en Syrie annoncées par la Russie avec la Turquie et l’Iran – mais sans les Etats-Unis ni la France –, pour que cette nouvelle donne sidérante devienne une évidence. Et encore, je ne suis pas sûr qu’on ait pleinement réalisé ce que cela signifie.
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